Quel que soit le barrage, le constat est le même : la présence des femmes dans le mouvement des Gilets jaunes est importante, voie majoritaire sur certains nœuds. Le géographe Christophe Guilly, réputé pour son travail sur la France périphérique parle d’une « présence importante des femmes ».
Sur le rond-point des Vaches de Saint-Étienne-du-Rouvray, point d’entrée dans Rouen (Seine-Maritime), elles représentent « une bonne moitié » des manifestants, compte Gaëlle, 38 ans. Parfois veuves, souvent avec des emplois précaires, « elles ont les plus petits salaires », résume Christophe Guilly. Parce qu’elles sont en première ligne dans ce combat pour le pouvoir d’achat et la considération, parole aux dames.
« Je pense à mes enfants »
« On travaille autant que les hommes… Je dirai même plus. C’est normal d’être ici », estime Valérie. À 50 ans, cette infirmière en milieu hospitalier n’est « jamais descendue dans la rue » : « Je pense à mes enfants. Mon fils de 20 ans ne peut pas partir de la maison avec ses 1 300 euros ! »
Myriam non plus n’a « jamais manifesté de [sa] vie ». À 34 ans, elle a décidé d’aller tâter du bitume, « parce qu’on ne s’en sort plus ». Elle aussi fait « ça » pour sa progéniture. « Je n’arrive même pas à répondre aux demandes de mes enfants. On fait une sortie dans le mois et c’est terminé. »
C’est également en pensant aux générations futures que Jacqueline, âgée de 73 ans, s’est décidée à mettre son chasuble. Elle assure que « les jeunes travaillent », mais « avec 1 100 euros, qu’est-ce que vous voulez qu’ils fassent. Même les anciens n’auraient jamais travaillé pour ce salaire ». Cette retraitée, veuve depuis huit ans, prend peur lorsqu’elle entend « certaines choses ». Sa pension lui rapporte un peu moins de 900 euros par mois : « Il paraît qu’ils veulent toucher à la pension de réversion… Avec celle de mon mari, je m’en sors à 1 400 euros, alors si on me la baisse… »
« Je vis grâce à la retraite de mon mari »
À ses côtés, auprès du feu de palettes, Carmen est également à la retraite ou plus exactement, « je devais être à la retraite, mais elle a été reculée d’un an. J’ai été radiée du chômage. Je vis grâce à la retraite de mon mari ». À 61 ans, elle accepte de s’épancher davantage : « J’ai dû interrompre trois ans ma carrière dans une blanchisserie, à cause d’un cancer qui n’est pas totalement soigné. J’essaie de retrouver un travail, mais je dis quoi sur mon interruption de trois ans ? Que j’ai pris des années sabbatiques ou que j’ai eu le cancer ? »
Positionnée à une des entrées du rond-point, l’infirmière Valérie avoue avoir « eu peur au début ». Son portable sonne : son mari au bout du fil. « Il m’appelle régulièrement, pour savoir si tout se passe bien. » Elle assure n’adhérer à aucun mouvement politique, « mon parti politique, c’est mon porte-monnaie ». Et la quinquagénaire de poursuivre : « Il y a 10 ans, j’étais dans la classe moyenne haute. Aujourd’hui, je me retrouve en bas. » Pour s’expliquer, « Valou », comme l’appelle ses collègues, donne un exemple : « La prime de nuit à l’hôpital est de 125 euros. Elle n’a pas bougé depuis 25 ans. Mais tout a augmenté ! »
« On danse, on chante, on fait des petits coucous »
Gaëlle est présente depuis le début du mouvement. Comme toutes ici, elle travaille et occupe ce rond-point sur son temps libre : « Mon mari travaille de nuit. On se croise depuis neuf jours. » Sur ce mouvement, sans conteste, elle perçoit les femmes, comme « plus déterminées » :
« Nous, on a le droit aux postes à mi-temps, pas les hommes. Les 80 %, les petits contrats, c’est pour nous. »
Si Gaëlle se bat, c’est « pour qu’on prenne l’argent là où il se trouve ». En attendant d’éventuelles propositions du président de la République, ostensiblement visé, elles continuent d’alimenter les feux et de sourire aux automobilistes. Parce que leur présence apporte en plus de la colère, de « la bonne humeur », sourit Pauline, 20 ans. « Elles savent nous calmer », reconnaît un collègue masculin dégageant les palettes pour laisser passer les voitures. « On danse, on chante, on fait des petits coucous, témoigne Valérie. Les mecs, nettement moins. »
Cet article a été publié le 27 novembre 2018 sur le site d’informations 76actu.