« Nous faisons face à une République d’experts »

Jean-Paul Lecoq, député communiste de Seine-Maritime, sur un quai de la gare de Rouen.

Jean-Paul Lecoq est député du Parti Communiste Français (PCF) de la 8e circonscription de Seine-Maritime. L’ancien maire de Gonfreville-l’Orcher (1995-2017), âgé de 58 ans, déjà député de 2007 à 2012, a été élu aux dernières élections législatives avec près de 63 % des voix devant une candidate La République En Marche.

Durant ces premiers mois de mandat parlementaire, Jean-Paul Lecoq constate et dénonce une technostructure à la tête de l’État. Extrait d’une interview réalisée le 20 septembre 2017.

« Je refuse les ministres spécialistes. C’est la même chose concernant les députés En Marche !. Ils ont tous été choisis pour leur spécialité. Il ne faut surtout pas ça. Il faut des députés généralistes. Des représentants des citoyens ! Aujourd’hui, nous faisons face à une République d’experts. Jadis, nous étions avec une République constituée de représentants du peuple, qui avaient besoin d’experts pour se faire une opinion, dans l’intérêt du citoyen. Les experts sont devenus les représentants du citoyen.
Le groupe La République En Marche se répartit les rôles en fonction du métier de chaque député. Le député devient juge et parti, député et parti. Comment peut-on avoir un Parlement qui fonctionne comme cela ? Les experts ont pris le pouvoir. L’expert banquier, le président de la République, en tête.
Je siège à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, présidé par le député Villani. Lorsqu’on s’est présenté, je me suis aperçu qu’ils avaient tous bac+8. Moi, je leur ai dit que je n’avais que mon CAP électricien. Mais je suis un passionné de sciences. Ma ville a été la première d’Europe a être équipée du très haut débit.

Vous avez peur que ce gouvernement et sa majorité sclérose la démocratie ?
Ils tuent la démocratie, avec leurs pratiques. J’entends à l’Assemblée des députés dire : « La loi a été écrite comme ça, on ne change rien ». Mais la loi a été écrite par les experts de l’Élysée.
Le Parlement est censé proposer, corriger, amender les lois pour l’adapter à la société. Nous ne pouvons pas le faire. Sur certaines lois, nous avions des arguments, parfois même, nous arrivions à les convaincre sur la loi Travail et la loi sur moralisation de la vie politique. Mais à cause de la dynamique de groupe, ils sont rappelés à l’ordre. Un exemple : la réserve parlementaire. Nous défendions l’idée que cet argent était utile pour les associations au moment où les dotations aux collectivités locales sont gelées. Certains députés se sont retrouvés un peu orphelins, puisqu’ils avaient déjà commencé à imaginer un mécanisme pour que cette manne profite encore aux associations, avec un versement par les préfets, les communes. Mais ils ont été rappelés à l’ordre. Alors non seulement, ils suppriment cette réserve parlementaires, mais il n’existe pas de mécanisme de redistribution de cet argent.

Pouvez-vous préciser votre position sur le sujet qui est un peu ambiguë ? C’est-à-dire que vous comprenez le clientélisme qu’entraîne cette réserve parlementaire, mais vous souhaitiez son maintien ?
À la base, nous sommes contre la réserve parlementaire. Sauf que ces trois dernières années, nous avons vécu la baisse des dotations aux Départements et aux communes. Immédiatement, les collectivités locales ont baissé ou gelé les subventions aux associations. Aujourd’hui, nous vivons la suppression des contrats aidés.
Quand les associations ont vu cela, elles sont venues trouver leur député pour lui demander de compenser cette perte. Il faut bien trouver un moyen de financer la vie de nos associations !

Vous ne niez pas l’effet pervers que vous pouvez avoir cette réserve, en laissant aux mains d’un député la possibilité de verser de l’argent à n’importe quelle structure, sans aucune motivation ou contrôle ?
Je ne le nie d’autant moins que j’étais le député qui avait le moins de réserve parlementaire. Daniel Paul m’en donnait une partie, ainsi qu’Alain Bocquet afin d’avoir quelque chose de recevable. Je devais avoir 20 000 euros, quand d’autres avaient 400 ou 600 000 euros. C’était avant qu’Hollande et sa majorité mettent tout le monde à égalité. À la suite de cette mesure, il fallait faire en sorte de créer une vraie instance de contrôle.

Vous imaginez le casse-tête administratif ?
Oui, c’est compliqué. Il n’empêche qu’ils ont supprimé 800 millions d’euros à la vie associative. Ce n’est pas très bien. Sur ce dossier, notre groupe avait sensibilisé les députés de la majorité. Mais il y a eu ce rappel à l’ordre.

La discipline de groupe à toujours existé à l’Assemblée…
Sur des grands enjeux peut-être, mais là, il n’y avait de mise en péril. La réalité est que le gouvernement n’a pas dit la vérité. Il prétextait un problème avec la réserve parlementaire, alors qu’en fait, il souhaitait récupérer 800 millions d’euros. Le sujet était l’endettement de l’état.
Et puis, je ne crois pas au désendettement de l’État. J’ai un problème avec ça. L’État doit investir pour l’avenir. Il faut des infrastructures ferroviaires, fluviales…

Mais dans votre ville, vous ne prenez pas le risque de vous endetter à ce point ?
Je refuse de payer cash une école. Pourquoi les contribuables d’aujourd’hui payeraient un truc (sic) qui va servir durant 50 ans ?
Mais quelle est la logique du désendettement de l’État ? Le recours au privé, avec des partenariats public/privé. Là, c’est le racket.

Vous sentez-vous malmené au Parlement ?
Nous avons toujours été contre la 5e République, mais la façon dont s’est fait élire Emmanuel Macron avec un discours du genre : « Je suis celui qui dit ce qu’il faut faire ! » et la façon dont il a choisi les députés pour uniquement soutenir la politique de son gouvernement… Les députés ont vocation à porter l’intérêt du territoire. Aujourd’hui, le gouvernement dit au députés de sa majorité : « Vous n’êtes pas là pour ça. »

Vous entendez des collègues En Marche qui sont frustrés ?
Certains sont gênés. Je connais un avocat qui était fier d’être devenu député pour améliorer la loi. Quand il a vu comment elle se construisait et qu’il a compris qu’il ne pourrait pas déposer d’amendement, il s’est interrogé sur son utilité. Il s’était confié dans les couloirs. Il a envie de servir son pays. Comment tout cela va vieillir au fil des mois ? C’est l’inconnu.

On peut avoir l’impression que l’intérêt pour la chose politique est revenu, que le FN n’est plus une menace. Pourant, la crise de confiance est encore bien présente. Dans votre circonscription, comment allez-vous veillez à faire vivre la démocratie ?
J’ai un handicap en ce moment : le rythme donné par le pouvoir pour élaborer la loi, n’est pas un rythme qui permet de débattre avec le peuple. On a en notre possession les éléments au dernier moment, etc. C’est impossible ! Or, je mettais engagé à rendre compte régulièrement, à rencontrer des spécialistes… J’avais envie de cette pratique politique là, pour réintéresser les gens à la chose politique. Que les citoyens s’expriment ! Mais nous n’avons pas le temps. On siège tous les jours. Par exemple, la semaine prochaine, je suis dans l’hémicycle tous les jours et toutes les nuits du lundi soir au vendredi midi, pour discuter de la loi sur la sécurité [du 2 au 6 octobre, ndlr].

Comment pallier ce manque de temps ?
J’ai découvert les réseaux sociaux durant la campagne électorale. J’avais du retard. C’est un outil de communication et d’écoute. Je passe mes soirées à converser avec des gens, à partager. En termes de citoyenneté, si on arrive à travailler sur cette pratique… Cela fait des relais politiques et une interaction avec des personnes qui ne sont pas membres de mon parti.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *