IV- Les raisons d’espérer

Une révolution déjà en place

Heureusement, des exemples contemporains donnent tort à ces penseurs et théoriciens de la confiscation du pouvoir.
Prenons le temps d’en développer quelques uns. Dans la Drôme, au sud de Valence, un village a renversé l’organisation pyramidale de la vie publique : un maire qui décide de tout, pour tout le monde. À Saillans, les quelques 1 200 habitants « ont tous été élus du premier tour ». Pour écarter le maire sortant, une liste collégiale a été formée, sans programme, en 2014, lors de l’élection municipale. Tous, se sont réappropriés la cité. La liste citoyenne, a imaginé un fonctionnement qui permet, dans l’absolu d’exclure le maire, avec des assemblées participatives, une à deux fois par an, des commissions régulières d’habitants pour prendre des décisions mineures et des référendum en cas d’absence de consensus. « Notre démarche repose sur l’expertise d’usage des habitants. Chacun est expert de sa rue, de son village », confie une élue en charge de la jeunesse, à Reporterre.
Longtemps avant Saillans, une forme d’autogestion municipale avait émergé dans le Doubs, dans le village de Vaudoncourt. Les 800 habitants s’étaient lancés dans cette dynamique participative au début des années 1970. Depuis des décennies, les habitants ont bâti leur cité, sans laisser la possibilité de gouverner à seulement quelques-uns. En plus des différentes instances mises en place pour continuellement co-construire le village, à Vaudoncourt, les habitants peuvent prendre la parole en séance du conseil municipal. Une pratique impossible ailleurs, au grand dam du maire de Friville-Escarbotin, qui fait tout pour instaurer une démocratie horizontale.

Ça change du discours des Shumpeter et autres Bernays ! Aujourd’hui, ces villages fonctionnent toujours de la sorte, à voir, si cela va perdurer.
Voilà deux exemples parfaits d’un projet révolutionnaire, au sens où son fonctionnement est très loin du système clanique, laissant les rênes du pouvoir au seul maire. Comme le souligne Cornelius Castoriadis «  révolution ne signifie pas des massacres, des rivières de sang, l’extermination des Chouans ou la prise du Palais d’Hiver ». Dans ces exemples vivants, chaque citoyen a la possibilité de participer à l’élaboration des lois pour la communauté.
Le maire de Friville-Escarbottin, David Lefèvre, souhaite lui aussi une généralisation de cette « prise de conscience collective » qui « passera par une révolution sociétale »6.

A une échelle bien plus grande, un collectif s’était levé à Marseille, en vue de l’élection municipale de 2014. Une liste emmené par le célèbre Pape Diouf, ancien président de l’OM, était basée sur ce désir de plus de démocratie. Un vœu pieux à Marseille ? Pas tellement, la liste du mouvement Changer la donne a réuni 6% des suffrages exprimés, en 2014. Pierre-Alain Cardonna, qui a dirigé cette campagne électorale, en garde une grande fierté. D’abord, parce que « c’est la première fois qu’il y avait des candidats qui ne sont pas issus du monde politique ». 80 % des personnes présentes sur les listes de Changer la donne, n’étaient issus des rangs des partis. Les autres, à l’image de Pierre-Alain Cardonna voulaient les renverser. Malgré cet « amateurisme », en quelques mois « on a démontré qu’on savait gérer une campagne ». Alors que présenter des listes à Marseille est un pari que seuls les plus fous peuvent relever, sans appui logistique d’une structure partisane. Pour conquérir le siège du maire, il faut présenter huit listes, avec chacune des comptes de campagne séparés ; Marseille étant découpée en secteurs, composés chacun de deux arrondissements. Avec Paris et Lyon, c’est une des villes les plus difficiles à conquérir en France et pourtant un tel mouvement a été possible.

Le remède primaire

Cette demande de plus d’implication de la part des populations devient si persistante et légitime que les institutions renouvellent leurs modes d’organisations. D’abord, les partis politiques, tellement délégitimés et inopérants, ont dû inventer le système des primaires pour redonner de la force au candidat issu de leurs rangs. Une bouffée d’air frais tellement nécessaire que le parti gaulliste qu’était l’UMP et maintenant Les Républicains, s’est plié à cette nouvelle règle.
Mais le premier à le mettre en place en France, c’est bien le parti de la rose, en 2011. Avec près de trois millions de votants, François Hollande est sorti vainqueur et est devenu président de la République. Plus tard le PS a expérimenté cette nouvelle formule a l’échelle municipale, dans la deuxième ville du pays. « Marseille va être la principale ville de France où il y aura une primaire à gauche. Ça sera un laboratoire pour d’autres primaires municipales », disait Jean-Pierre Mignard, alors porte-parole de la Haute autorité du PS, au moment de son lancement en juin 2013. À l’issue du scrutin, le député socialiste Patrick Mennucci était sorti victorieux avec 57% des suffrages en sa faveur.

Près de 24 000 Marseillas avaient alors pris part au vote. Cette forte mobilisation a permis une chose : éviter les tours de passe-passe bien connus sur le Vieux-port. Le temps des bourrages d’urnes et l’époque où les morts avaient le droit de vote se sont vus balayer. Ce qui était possible avec 2 000 militants ne l’était plus avec 24 000 votants. Pour Patrick Mennucci la primaire représentait « un dispositif loin des baronnies, loin des fausses cartes et des complaisances ». Avec cet assainissement des partis et une nouvelle appropriation populaire de la chose publique, les primaires sont certainement le premier remède à la défiance politique. En 2013, Jean-Pierre Mignard était même favorable à ce que « les primaires en politique figurent dans la loi de la République ». En 2017, l’avocat au barreau de Paris, estime toujours que « c’est un progrès pour les citoyens », mais ne sait pas déterminer si elles « correspondent à un progrès voulu ou contraint » du fait de la médiocrité des organes partisans. Pour lui, en plus d’être une avancée démocratique, elles sont surtout « le cache-misère des partis ».

En plus des partis, les institutions publiques recherchent également une nouvelle légitimité démocratique grâce à la participation citoyenne. Avec quel outil ? Le numérique.

Le « civic tech », un renouveau démocratique

2014 est l’année de la première loi façonnée par les citoyens via une plate-forme numérique participative. Le projet de loi pour une république numérique porté par Axelle Lemaire proposait de contribuer à la rédaction de la loi sur un site dédié. Toutes celles et ceux qui souhaitaient apporter leur éclairage, leur proposition, donner leur avis en avait la possibilité. Un amendement rédigé sur la plate-forme est passé à l’Assemblée nationale sans aucune retouche. Voici un symbole portant à son paroxysme l’accès direct aux institutions permis par l’outil numérique.
« Pour la loi numérique, nous avons construit un processus unique où même les lobbys devaient utiliser la plate-forme. C’est primordial, il n’y a pas une voie royale opposée à celle des citoyens lambdas », témoigne Thibault Dernoncourt, Directeur conseil de Cap Collectif et militant d’une démocratie transparente et horizontale, lors du 28e forum de la communication publique et territoriale qui s’est tenu à Marseille, le 7 décembre 2016.
« On est convaincu qu’on est arrivé au bout d’un système dans la démocratie comme partout ailleurs. Et tout le monde s’en rend compte, dans les collectivités comme dans le monde du travail. La gouvernance avec des structures pyramidales, hiérarchiques, avec un grand chef qui décide pour tout le monde, a déjà montré ses limites. On est déjà en train d’essayer de monter des nouveaux processus au domaine démocratique », appuie Thibault Dernoncourt lors de ce forum de la communication publique et territoriale. Son entreprise intervient auprès des collectivités pour structurer la vie démocratique avec des applications pour réaliser des consultations, des budgets participatifs, des appels à projet, des boites à idées, des questionnaires, des interpellations publiques. Pour Thibault Dernoncourt, un des exemple d’utilisation le plus intéressant est lorsqu’un parlementaire « publie ces propositions de loi en amont, avant de les proposer à l’Assemblée et demande aux citoyens : »Est-ce que mes propositions sont bonnes, est-ce que vous en avez d’autres ? ». » Le but de ces entrepreneurs-militants d’une démocratie du XXIe siècle ? Faire le pari du collectif.
Les collectivités territoriales sont de plus en plus nombreuses à expérimenter la plate-forme ou d’autres solutions de « civic tech », expression à la mode pour désigner les technologies à usage démocratique. Nathalie Appéré (PS), la maire de Rennes a fait appel à l’entreprise pour mettre en œuvre sa « Fabrique citoyenne », promise pendant la campagne de 2014. Elle est composée de plusieurs budgets participatifs à gérer par les citoyens. En 2016, plus de 30 clients, collectivités ou ONG ont fait appel aux services de Cap Collectif. Les collectivités territoriales sont de plus en plus curieuses. Le discours pour une démocratie participative, ouverte et transparente grâce aux outils numériques s’impose peu à peu dans les campagnes électorales. Comme à Grenoble où le maire Eric Piolle (EELV) a communiqué sur ce thème aux municipales de 2014 et s’est exécuté en mettant en place des budgets participatifs et de nombreuses consultations.
Avec les outils numériques et une communication adéquate, le citoyen peu reprendre sa place, au plus haut de la tour de contrôle. Camille Estesse, chargée de communication à la métropole de Rennes, a remarqué une forte participation des agents des services municipaux dans le programme Fabrique citoyenne. La plate-forme a libéré la parole et l’expertise précieuse d’expert non mobilisés d’ordinaire parce qu’étouffée hiérarchiquement.
Mais « attention, il faut des projets structurants et mobilisateurs où il y a une réelle marge de manœuvre pour la décision finale, prévient Camille Estesse. Ça ne marche que si une volonté politique forte appuie la démarche et qu’on ne l’utilise pas comme gadget. L’outil ne fait pas tout ». Les interlocuteurs de l’atelier « J’ai co-construit la loi numérique », insiste également sur le fait que c’est un nouveau moyen mobilisateur qui ne remplace pas les réunions physiques, c’est un plus à mobiliser lors d’une situation idoine.

« Le réveil de la  »politique de la rue » »

Alors que des discours nous assurent que le monde est entré dans l’ère de la dépolitisation, ces exemples appellent à la nuance et à l’espérance.
Une prise de conscience des peuples à s’occuper de la res publica, qui s’est fait au niveau mondiale avec cette vague de fronde politique qui a déferlé en janvier 2011 : les révolutions arabes. D’abord Tunis, avec l’immolation par le feu d’un vendeur ambulant, puis toutes la capitale du monde, avec une chasse aux dictateurs d’une rare violence. Des « mobilisations inattendues » et « apparemment inépuisables ». Pour Albert Ogien et Sandra Laugier, « le réveil de la  »politique de la rue » a changé la donne ».
De puissants changements certainement rendus possibles par le « grand remplacement », générationnel. En effet, comme l’a constaté le grand-reporter Christophe Deroubaix aux États-Unis, la génération qui arrive est porteuse de tous les espoirs.
Selon ce journaliste, les Millenials « ont été vaccinés par la plus grande crise économique de ces cinq dernières années. On les croyait le nez collé sur leur écran, ils se pointent à la fenêtre du monde ». Une nouvelle génération combinée à une farouche volonté d’innovation des classes populaires proposent un contre-projet à la mondialisation imposée. Toute une « France périphérique » se libère devant un manque de considération. Comme le démontre Christophe Guilly, « les classes populaires ont entamé un long processus de désaffiliation politique et culturelle ». Nous assistons au « grand marronnage » (Guilly fait référence aux esclaves qui ont fuit les plantations). La classe populaire ne remet plus son destin aux mains de partis politiques et bouscule l’ordre organisé depuis des décennies, elle propose une société alternative, reconstruisant des « lieux tiers » et des économies locales. Ce qui souvent paraît comme un désintérêt politique manifesté par une abstention massive est en réalité un cri de colère.
Le citoyen n’a plus besoin d’être pris par la main en étant représenté. Il veut s’exprimer, malheureusement dans un cadre démocratique étriqué qui n’a pas été pensé à cet effet. Un monde nouveau veut émerger.

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