II. Qu’avons-nous fait de notre souveraineté ?

Sur le papier, nous vivons un régime politique des plus enthousiasmants. Rendons-nous compte, le pouvoir est tenu « par le peuple et pour le peuple ». C’est à nous qu’il revient de choisir notre destinée, en toute transparence et dans la dignité. Et pourtant, avez-vous l’impression de gouverner ? Poser cette question c’est y répondre. Où sont les hordes de citoyens au fait des tumultes du monde ? Où sont ceux qui décident du fonctionnement de leur cité ?
Un soir de conseil municipal dans n’importe quelle commune de France : les bancs réservés au public sont vides, ou presque. On y croise uniquement les quelques présidents d’associations venus se faire bien voir pour le versement de la prochaine subvention, les plus fidèles des militants qui ont participé au porte-à-porte lors de la dernière élection ou encore les plus farouches opposants à la municipalité. Mais vous ne croiserez jamais la mère de famille soucieuse pour l’avenir de ses enfants, le jeune actif venant d’acheter son premier logement dans le village ou la chômeuse récemment fauchée par le marché. Et nous ne parlons là que de l’échelon communal. Rejoignez une assemblée d’agglomération, départementale ou pire régionale, mis à part des journalistes, vous n’y croiserez personne. Des personnes que les délibérations votées concernent pourtant.
Le maire de Friville-Escarbotin, dans le département de la Somme, prône une idée révolutionnaire de la pratique politique. Cet ancien conseiller général, élu plus jeune maire de France en 2008, défend l’idée d’une plus grande participation des citoyens, mais « quand j’invite les 5 000 habitants de Friville pour discuter de sujets importants comme les finances, l’imposition, de projets structurants, seules trente personnes se déplacent. Toujours les mêmes. C’est fatigant et extrêmement frustrant ».
D’ailleurs quasiment aucun des administrés ne pourra vous indiquer le lieu de rendez-vous de ces réunions qui déterminent l’avenir des générations futures : taxes, accord d’un permis de construire pour un centre commercial, vente de biens immobiliers, préservation environnementale, fusion de collectivités territoriales comme les Régions ou les communes récemment, accord d’implantation d’une carrière dans un paysage touristique, armement de la police, subventions aux associations de soutien aux plus démunis, réfection du gymnase, aides au développement économique, etc. Et oui, l’essentiel se passe dans ces assemblées. Comment expliquer cette désertification ?

Le citoyen est-il « zombifié » ?

Avant d’aborder les défauts qu’apporte la démocratie représentative et plus encore les mécanismes mis en place pour éloigner le citoyen du pouvoir de décision, afin de comprendre les raisons exogènes de cette dépolitisation, nous ne pouvons passer à côté de la remise en question de la pratique citoyenne. Il y a une vacance du citoyen. Et si le citoyen n’est pas à marquer à la culotte ses élus, où se trouve-t-il ? Devant sa télévision.
En 2016, selon la dernière mesure Médiamétrie publiée en janvier 2017, près de 58 millions de Français étaient équipés de télévisions. La durée quotidienne passée devant l’écran était de 1h53 pour les 4-14 ans, 3h01 pour les 15-49 ans et enfin, 5h07 pour les 50 ans et plus. Soit une exposition moyenne de 3h43. Une durée stable par rapport à l’année 2015 (une minute de moins).
Hervé Kempf cite une étude d’Eurodata TV qui démontre que les téléspectateurs de 76 pays passent en moyenne chaque jour 3h12 devant leur téléviseur. « Cette durée se serait allongée de cinq minutes entre 2003 et 2008 », constate l’essayiste. Hervé Kempf poursuit :

« Al Gore [ancien candidat démocrate à la Maison blanche, ndlr] a une formule incontestable : « Un individu qui passe quatre heures et demie par jour devant la télévision aura probablement un mode d’activité cérébrale très différent de celui d’un individu qui passe quatre heure et demie à lire. » A lire, ou à jouer au tarot, discuter avec ses amis, flâner, s’ennuyer… Pour Gore, « les gens qui regardent la télévision ne participent pas à la démocratie s’ils la regardent quatre à cinq heures par jour. »

Les effets de la télévision sur la formation de l’être citoyen ne sont certainement pas les plus efficaces. C’est ce que rappelait Christophe Girard, ancien d’LVMH et adjoint au maire de Paris en charge de la culture, dans une tribune publiée par le journal Le Monde en août 2008, Pour une télé-vision de la télévision.
Selon lui, les techniques utilisées par cette industrie, principalement le nombre d’images par minute, a pour effet de « placer l’esprit du téléspectateur sous tutelle, dans un état de fascination télévisuelle. […] Comment veut-on, par exemple, qu’une émission culturelle digne de ce nom soit possible lorsque les imaginaires, les perceptions et les pensées doivent se soumettre à une durée de plan inférieure à dix secondes ? » On se souvient tous de la considération sans borne qu’avait Patrick Le Lay, alors PDG de la chaîne TF1, en 2004, pour les téléspectateurs lorsqu’il avait déclaré vendre à Coca Cola « du temps de cerveau disponible ». Dans le livre Les dirigeants face au changement, il déclarait :

« Il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. »
Mettre la télévision seule sur le banc des accusés ne serait pas accordé une saine justice à ce débat. Mais un des coupables se cache certainement là. Depuis 2004, on ne peut plus dire que nous ne sommes pas au courant. Cette industrie télévisuelle a bien pour mission, dans une large mesure, d’annihiler tout esprit critique ou politisé ! Qui porte le plus le sceau de la culpabilité ?
Nous avons oublié de faire vivre l’idéal conquis. Ce qui fait dire à l’historien et philosophe Marcel Gauchet que « la démocratie n’est plus qu’un mot, plus qu’une notion fantoche qui dissimule le pouvoir effectif, exorbitant du schème individualiste et du complexe économico-financier ». La crise de la démocratie ne réside pas dans son principe communément admis, mais c’est « une crise de dissolution de son cadre, d’évidement de sons sens ».

La presse et le rôle des journalistes

Sommes-nous devenus de simples moutons errant dans les rayons des supermarchés, trop occupés à consommer tout en rendant les armes du débat et de la pensée ? Cornelius Castoriadis partage l’idée d’une société où l’empire du capital a pris le dessus sur l’essentiel de l’existence humaine.
Ces régimes libéraux « ne font pas essentiellement appel à la contrainte, mais à une sorte de demi-adhésion molle de la population. Celle-ci a été finalement pénétrée par l’imaginaire capitaliste : le but de la vie humaine serait l’expansion illimitée de la production et de la consommation, le prétendu bien-être matériel, etc. En conséquence de quoi la population est totalement privatisée. […] La population ne participe pas à la vie politique : ce n’est pas participer que de voter une fois tous les cinq ou sept ans pour une personne que l’on ne connaît pas et que le système fait tout pour vous empêcher de connaître. Mais pour qu’il y ait un changement […] il faut aussi et surtout que change l’attitude des individus à l’égard des institutions et de la chose publique, de la res publica, de ce que les Grecs appelaient ta koina (les affaires communes) ».
Pour le philosophe, il est grand temps que « la passion pour les objets de consommation doit être remplacée par la passion pour les affaires communes ». Cette question de la participation à la chose publique est centrale dans la pensée de cet intellectuel français, d’origine grecque :

« Dans nos « sociétés libérales d’oligarchie », le peuple n’a tout au plus qu’un vague véto électoral, tous les cinq ou dix ans – veto, comme vous le savez, plus fictif que réel pour la simple raison que le jeu est truqué, non pas au sens de la fraude électorale, mais parce que les choix offerts aux électeurs sont toujours prédéterminés. Mais il ne faudrait pas croire pour autant que les oligarchies dominantes, capitalistes ou politiciennes, violent partout et toujours un peuple innocent, à son corps défendant. […] Ont-ils été zombifiés par des esprits maléfiques ? […] Je ne crois pas qu’ils soient zombifiés, je crois simplement qu’on traverse une phase historique très critique dans laquelle le problème de la participation politique est effectivement posé. »

Le citoyen se désintéresse des « affaires communes » et pourtant il n’a jamais, dans l’histoire de l’humanité, été autant informé. N’importe qui, même le plus éloigné de l’actualité, sera au courant en quelques secondes d’un attentat commis à des milliers de kilomètres de lui ou de la dernière erreur tactique commise par le plus imbécile de nos responsables politiques. Revenus des ministres, décision de la Grande-Bretagne de quitter l’Union Européenne, élection de Donald Trump aux États-Unis, mensonge sur les armes de destruction massive en Irak, le nombre de migrants qui traversent la Méditerranée chaque jour, etc. Rien ne lui échappe. Il y a là un paradoxe difficile à saisir. Hyper connectivité contre abandon du poste de contrôle.
Dans le grand maelström de l’information, le numérique a bouleversé la donne. En effet, les journaux papier voient leurs chiffres de vente s’écrouler. La presse d’information générale et politique se porte mal en France. Prenons l’exemple de la presse quotidienne nationale. Le Figaro ou Le Monde, les deux plus grands quotidiens nationaux, ne vendent pas plus de 300 000 journaux chaque jour en comptant les abonnements. Certains s’en sortent mieux comme le paquebot Ouest-France et ses presque 700 000 exemplaires vendus chaque jour en moyenne en 2015. Mais la tendance est pour tout le monde la même : c’est la chute inexorable. Les journaux sont dans l’incapacité de renouveler leur lectorat vieillissant. Les rédactions se vident.

Au milieu du déclin, une lumière : le tournant numérique. La progression de la presse traditionnelle sur le web est flagrante. L’immense majorité de la presse française possède un site web et est active sur les réseaux sociaux. Une forte présence numérique qui permet de relativiser la perte du lectorat. Une relativité mis en exergue par la professeure d’économie, Julia Cagé. Elle rappelle qu’entre 2008 et 2013, les visites totales sur les sites web des quotidiens « sont passées de 50 millions à près de 180 millions par an en moyenne pour un site ; soit une multiplication par plus de trois en cinq ans. » Comparés aux tirages papiers, « ces chiffres donnent le tournis ». L’universitaire souligne que « rien qu’en juillet 2014, le nombre de visite total sur Lemonde.fr a dépassé les 66 millions ».
Mais pour plus de précisions et pour faciliter la comparaison avec le papier, il est préférable de s’en tenir non pas aux visites totales (un visiteur peut se rendre plusieurs fois sur un site d’informations au cours d’une même journée), mais aux visiteurs uniques par mois.

« Pour Le Monde, le nombre de visiteurs uniques par mois s’élève à plus de 8 millions, et chaque visiteur effectue en moyenne huit visites par mois. Le nombre moyen de visiteurs quotidiens se trouve ainsi réduit à environ 1,5 million. Qu’en est-il du lectorat papier ? Si l’on considère les seuls chiffres de diffusion papier (300 000 pour Le Monde), il faut bien reconnaître qu’ils restent inférieurs à ceux du web. Mais plusieurs choses sont à noter. Tout d’abord, pour passer de la diffusion au nombre de lecteur papier, il faut multiplier la diffusion par le nombre moyen de lecteurs par exemplaire papier, soit six pour Le Monde d’après les enquêtes disponibles. En d’autres termes, le lectorat quotidien moyen du Monde papier est de 1,8 million. Les ordres de grandeur sont tout de suite beaucoup plus similaires et les écarts abyssaux souvent brandis se sont réduits. »
L’effondrement des ventes de journaux est loin de signifier que l’information n’est plus consommée. Au contraire, le numérique vient apporter un complément, là où il y a quelques décennies, seul le papier comptait. Les médias d’informations jouent encore un rôle important et sont suivis. Si l’on considère que le rôle de la presse, à l’inverse de la télévision, est capital pour l’apprentissage de la citoyenneté, c’est évidemment une réjouissante nouvelle.
Cela dit, la qualité de lecture en a pris un coup. Les internautes « survolent » l’actualité. Aidés par les notifications des applications, leur temps de lecture sur les sites d’informations, est limité à moins de cinq minutes par jour en moyenne. C’est 7 à 8 fois moins que le temps de lecture d’un journal imprimé.

De l’autre côté de l’Atlantique, Christopher Lash avait constaté que la connaissance des Américains des affaires publiques est « constamment en déclin ». Il trouvait cela « curieux », dans un monde de surabondance médiatique, mais certainement que ce papillonnement de l’information peut l’expliquer.
Non seulement le citoyen survole, mais en plus il est inondé d’informations. Une surabondance qui pourrait expliquer une certaine incapacité pour le receveur de trier, d’analyser. Ou, plus grave, avec un effet de lassitude pour des affaires politico-financières, par exemple, du fait de la répétition. Si une affaire sort tous les 10 ans, la révolte a de grande chance d’être grande. Quand c’est 10 par an…
Il est important de relativiser, l’érosion de la consommation de la presse, mais cela ne peut occulter la réalité. Le traitement de l’information, est-il bon ? Les journalistes ne peuvent pas échapper à une introspection sur leurs pratiques pour expliquer en partie le fait que leur marchandise, l’information, se vende moins bien.

L’arrivée du numérique a changé considérablement l’approche qu’a le journaliste, une rédaction ou plus largement un média, à l’information.
La baisse des chiffres de vente pour l’ensemble des journaux papier, ne veut pas dire que le lecteur-citoyen ne se renseigne plus. Il s’est simplement détourné de ce support, pour en privilégier un autre : le web.
Les médias ayant pris le virage du numérique, ils se doivent de répondre à des attentes, tout comme le rédacteur en chef d’un journal papier se doit de réaliser de bonnes ventes, sous peine que son directeur le limoge ou pire mette la clé sous la porte. Les médias sont des entreprises qui doivent gagner de l’argent ! Lorsqu’un grand groupe de presse lance un site d’informations générales en ligne, il doit mettre une équipe rédactionnelle sur ce nouveau support, pour l’alimenter. Le développement et les charges fixes ont évidemment un coût important pour l’entreprise qui prend ce risque. Comment se rémunérer ? Par la publicité, comme l’ont toujours fait les journaux. Comment vendre et fixer le prix de la publicité ? Par le nombre de clics. Le prix de la publicité est corrélé au nombre de visites sur le site. C’est ainsi qu’un annonceur peut estimer la visibilité de sa démarche marketing. Ces nouvelles approches changent la donne et pourraient ne pas servir l’intérêt démocratique.
La recherche du clic pour la rémunération, peut entraîner une dérive : la recherche du buzz.
C’est le même travers que l’on retrouve à la télévision depuis de nombreuses années. La phrase ou l’image choc pour consolider une audience.
C’est exactement ce contre quoi s’est élevé Michel Onfray, habitué des plateaux télé et des studios radios, lorsqu’il a décidé, en septembre 2016, de lancer sa propre télé sur le web, « pour disposer de temps afin de développer des argumentations et des démonstrations, ce qui est impossible dans un média pour lequel le temps c’est de l’argent. Et souvent : beaucoup d’argent… » :

« La petite phrase est la production idéologique destinée à créer le buzz qui induit les parts de marché qui décident de la reconduction des émissions, de la place dans les grilles de diffusion et, bien sûr, des émoluments des animateurs. On comprend qu’avec pareils enjeux, les médias de masse aient intérêt à cultiver le superficiel, l’anecdotique, le bref, le ricanant, sinon l’imbécile. »

À charge maintenant, aux responsables des rédactions de tenir une ligne éditoriale claire, afin de maintenir un intérêt démocratique au travail journalistique. Mais s’il n’y avait que cela…

L’algorithme, l’anti-journalisme

Les choix éditoriaux des rédactions « peuvent être biaisés par la technologie », comme le souligne Éric Sherer, directeur de la prospective et du MédiLab à France Télévision. Écrire pour les moteurs de recherche, cela a débuté dans les années 2000. Le règne du search engine optimisation (l’optimisation par le moteur de recherche) pouvait alors commencer.

« Certaines rédactions ont privilégié une écriture de titres permettant aux articles d’être bien placés dans les moteurs de recherche. Cette pratique a généré un risque énorme et un cauchemar pour les rédactions : s’apercevoir que Google dirige la conférence de rédaction du matin car c’est en fonction des requêtes et des recherches des internautes la veille qu’on va déterminer les sujets qui intéressent. »
Chaque média parle le même langage, avec les même mots, afin de plaire au moteur de recherche et ainsi être « bien placé ». L’information web favorise ce que Pierre Bourdieu appelait « la circulation circulaire de l’information » : tout le monde dit la même chose sur des sujets choisis par le « Dieu Google ».
Mais le moteur de recherche n’est pas la seule plateforme de distribution de l’information. Le plus gros vecteur est Facebook, « devenu le kiosque mondial de l’information », ose Eric Scherer. La génération des moins de 40 ans, appelée Millennials, représente 60% de la population mondiale. En France, on estime que cette génération Y, âgée de 18 à 35 ans, représente 16 millions de personnes. Aux États-Unis, cette génération représentera 40% de l’électorat, en 2020. Pour Christophe Deroubaix, journaliste et spécialiste français des USA, « il y a bien un « grand remplacement », aux États-Unis, mais il n’est pas là où les théoriciens d’extrême droite le pensent : le grand remplacement est bel et bien « générationnel ».
Ces jeunes, comment s’informent-ils ? Via les réseaux sociaux, pour le plus grand nombre. Ce qui fait dire à Eric Scherer que « les médias d’information traditionnels sont en train de perdre le contrôle de leur distribution après avoir perdu le contrôle de la mise en forme de leurs articles. Les géants du Web sont venus s’intercaler entre eux et leur audience ».

Et pour comprendre le pouvoir de ces nouveaux médias, il faut comprendre l’importance des algorithmes utilisés par les géants de la Silicon valley qui détiennent « les clés de l’information ». Ce que l’utilisateur de Facebook voit s’afficher sur son fil d’actualité, n’est que la conséquence de suites d’opérations décidées par un mathématicien. L’algorithme sélectionne ce que l’utilisateur aperçoit sur son écran. Facebook « décide aussi à qui il les destine. Facebook choisit donc quelles informations il va proposer à vos amis […]. Les clés de l’algorithme relèvent du secret des affaires le plus absolu, comme la formule de Coca-Cola. […] », poursuit Eric Scherer.
La diffusion de l’information n’est plus déterminée par l’entreprise médiatique qui maîtrisait toute la chaîne, jusqu’à l’acte d’achat.
Les citoyens ne sont pas moins informés, ils ont changé leur canal d’approvisionnement de l’information. Et en parallèle, les rédactions ont fondamentalement changé leurs pratiques, pour répondre au mieux au dicta des algorithmes secrets des moteurs de recherches et des réseaux sociaux.
Nous sommes bien loin des principes de la liberté de la presse, inscrite dans notre constitution, et garante de notre démocratie. Mais nous en sommes là !

Mais se livrer à cette unique analyse serait trop simple pour être réaliste. Malgré le défi sans précédent qu’est celui du numérique, certains médias prouvent que le journalisme ne meurt pas du web. L’exemple le plus connu étant celui de Médiapart. Il existe son petit frère Les jours. Ces deux supports payants prouvent qu’investigations et reportages sont conciliables avec le journalisme en ligne. À une échelle plus modeste, certains groupe de presse régionaux prouvent qu’il est possible de développer des pure-players (sites gratuits d’informations en ligne), tout en respectant la déontologie qu’impose le métier, c’est à dire, pour le journaliste y exerçant, ne pas renier leurs valeurs.
« Le secteur est en ébullition », s’enthousiasme auprès de l’agence France presse, Jean-Christophe Boulanger président du Spiil (Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne). « Il y a beaucoup de créations et très peu de mortalité, et l’immense majorité des 150 adhérents du Spiil est rentable ». Les sites en ligne sont cinq fois plus nombreux qu’il y a cinq ans :

« La CPPAP (Commission paritaire des publications et agences de presse) a recensé 906 sites d’info en 2015, dont 391 pure-players, contre 189 sites en 2010. »
Face aux algorithmes et aux réseaux sociaux, devenus des médias à part entière, le défi est considérable, mais pas insurmontable.

D’autre part, nonobstant la chute des ventes papier, une « presse pas pareil » tente de survivre. Des rédactions totalement indépendantes, ne vivant principalement que de la vente et des abonnements, proposent un temps long, loin de l’immédiateté pouvant être nuisible en démocratie. Cette presse s’est unie sous cette bannière, à l’appel du mensuel Le Ravi, en mars 2014. « Editée par des associations, des coopératives ou de petites entreprises contrôlées par leurs salariés, elle [cette presse pas pareil, ndlr] renoue avec les fondamentaux d’un métier ailleurs souvent oubliés  : l’irrévérence, l’enquête, le goût du débat, la volonté de donner aux lecteurs, les moyens du plein exercice de leur citoyenneté, en les faisant participer au-delà d’un accès contrôlé à des « commentaires » qui servent trop souvent de déversoir. »
Ces rédactions à contre-courant sont mues par une puissante volonté : séparer la presse du monde de l’argent. Volonté folle, mais pas si dénuée de sens au moment où la grande majorité des groupes de presse en France est détenue par des financiers : Vincent Bolloré (groupe Canal +, dont I-télé, devenu C-News), Matthieu Pigasse (Le Monde, Les Inrocks), Patrick Drahi (Libé, L’express, L’étudiant, BFMTV, RMC…), Xavier Niel (Le Monde, L’Obs), Martin Bouygues (TF1, Direct Matin), etc.

> LIRE LA SUITE : Les raisons de l’abandon de notre souveraineté

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