La hausse des taxes sur le gasoil, un beau prétexte ! De quoi les Gilets jaunes sont véritablement le nom ? De l’injustice sociale et de l’incompréhension fiscale. « Où est passé le pognon? » a-t-on pu entendre. La perte de sens de l’impôt et le sentiment de déclassement, voilà ce qui se joue dans nos rues.
Les plus riches se portent bien
Ce mouvement n’a rien à voir avec Emmanuel Macron, sur le fond. François Hollande avait promis une révolution fiscale dans notre pays. L’économiste Thomas Piketty, l’avait d’ailleurs soutenu pour cela. Il n’a rien fait. Ce mouvement de gronde aurait pu naître en 2015, quand les petits patrons se pendaient à cause du RSI devenu folie. Non. Il surgit maintenant. Sur la forme, notre président est responsable. À écouter les Gilets, il symbolise le cynisme du capitalisme. De 1983 à 2015, le même Thomas Piketty, a démontré que les 1 % les plus riches avaient vu leurs revenus augmenter de 100 %. Seulement 25 % d’augmentation pour le reste de la population sur la même période. Voilà ce que représente Emmanuel Macron pour ces gens des ronds-points. Pour eux, rien ne tourne rond, point.
Pourtant ce ne sont pas les plus défavorisés qui tiennent le siège. Dans leur grande majorité, ils représentent (en France métropolitaine) la classe moyenne basse, petits propriétaires de la périphérie urbaine. Fait marquant : les femmes sont largement mobilisées. Mais pas de gars des banlieues, pas de filles de nos quartiers. Ceux où la misère s’entasse. Où le revenu moyen par foyer ne dépasse pas les 900 euros. Pourquoi ne sont-ils pas entrés sur les barrages ? Leur tour (re)viendra plus tard, à n’en pas douter.
Pas d’élan d’amour ou de fraternité
Les Gilets jaunes ne sont pas non plus ceux qui ont initié les Marches pour le climat. Ils ne sont pas non plus devant leur mairie chaque mois pour répondre à l’appel des Coquelicots lancé par Charlie. Ils n’ont pas non plus participé aux assemblées de Nuit debout. Beaucoup auraient aimé compter sur cette présence. Cette colère.
Nous n’assistons pas à un élan d’amour ou de fraternité. Ce n’est pas le progrès social qui motive la gronde. C’est la somme des individualismes qui est réunie sur nos ronds-points. Des gens qui n’ont pour horizon qu’eux-mêmes. Ces gens de bonne volonté sont abreuvés par les chaînes (monstrueuses) d’information en continue et s’en plaignent. Ils ne regardent ou ne lisent guère autre chose. Beaucoup sont enfermés dans une bulle cognitive, aidés par les algorithmes des réseaux sociaux qui les confortent dans leurs propres certitudes.
L’histoire retiendra peut-être que le basculement du monde a commencé avec la crise migratoire ressentie dès 2014. La peur de l’autre pour exprimer la peur de la relégation. C’est un continuum.
« Les nouvelles radicalités ne viennent pas comme prévu des banlieues »
Il ne s’agit pas d’un mouvement spontané et éphémère, mais au contraire bien ancré. Coupables sont ceux qui ne l’ont pas vu. Le géographe Christophe Guilly l’avait pressenti dans son ouvrage La France périphérique :
« Les radicalités sociales et à venir allaient venir d’ailleurs, des périphéries, de la France périphérique. Sur les décombres de la classe moyenne et de la précarisation des classes populaires, les nouvelles radicalités ne viennent pas comme prévu des banlieues, mais de la France périphérique. L’essentiel des radicalités sociales et politiques, mais aussi les réflexions alternatives, émergent non pas des banlieues mais des territoires les plus à l’écart des métropoles. »
« Radicalité » dit Guilly, mais ce à quoi nous assistons ne serait-il pas simplement une réponse à la violence sociale, aux inégalités territoriales, à la brutalité du capitalisme ? Subir la fermeture de son usine, n’est-ce pas violent ? Devoir « pointer » à son Pôle emploi dans le cadre de la recherche d’un travail, situé à 40 km lorsque vous n’avez pas le permis, n’est-ce pas violent ? Voir disparaître son école ou son bureau de Poste, n’est-ce pas violent ?
Malgré les dérives brutales, parfois totalitaires, manifestement intrinsèques aux Gilets jaunes, nous n’avons pas le droit de balayer cette révolte (révolution ?) d’un revers de main. Une société qui doute n’est peut-être pas perdue.
On ne peut pas dénoncer l’absence de vigie citoyenne et remettre en cause la démocratie représentative comme nous le faisons et dans le même temps mépriser cette foule. Ce mouvement n’est pas celui de la transformation, certes, mais il donne à voir des inégalités bien cachées. Il nous permet de réfléchir sur nos valeurs communes, le fonctionnement de notre démocratie. Rien que pour cela, il est salutaire.