Jean-Pierre Mignard est avocat au barreau de Paris et maître de conférence à Science-Po Paris. En février 2011, il a été désigné porte-parole de la Haute Autorité du Parti socialiste. Il a veillé sur la première primaire organisée en France en 2011, qui a vu la victoire de François Hollande. Il a également installé et surveillé la primaire du PS à Marseille, en 2013.
Intime de Ségolène Royal et François Hollande (il est le parrain de leurs deux fils), Jean-Pierre Mignard a été le président de l’association Désirs d’avenir, lors de la campagne présidentielle de 2007. Il est membre du conseil national du PS. Il est également membre du conseil d’administration et actionnaire de l’hebdomadaire Témoignage chrétien.
(Entretien réalisé en janvier 2017.)
En août 2016 François Hollande a déclaré que « l’enjeu de l’élection portera sur la France et la démocratie ». Est-ce que vous constatez que la santé démocratique est au cœur des préoccupations ?
À chaque élection, on peut dire que l’enjeu c’est la démocratie, parce que par définition l’élection est un moment démocratique. Est-ce qu’on entend par là la représentativité du parlement, c’est-à-dire la représentation au parlement de l’électorat ? S’agit-il du niveau de participation de citoyen dans la vie publique et des moyens qu’ils lui sont offerts ? S’agit-il de la décentralisation des pouvoirs pour permettre aux collectivités de disposer de plus de compétences ? Bref, il y a plusieurs manières d’envisager la démocratie, sans compter la qualité de la séparation des pouvoirs, l’indépendance de la justice, le contrôle des pouvoirs par d’autres pouvoirs, si on veut admettre que c’est le critère que retenait Montesquieu.
Je dirai que dans le contexte d’aujourd’hui, la démocratie est évidemment attaquée par le terrorisme qui impose la mise en place d’un état d’urgence, lequel évidemment réduit de manière sensible les libertés publiques, les libertés privées, au motif d’avoir à se défendre contre des attaques extérieures. La question démocratique se pose là aujourd’hui. C’est en effet majeur. On peut dire, et c’est mon avis, que nous n’avons certainement pas d’autres moyens, sauf à affiner l’état d’urgence pour lui éviter de prendre un aspect trop inutile et envahissant. Peut-être d’ailleurs pour envisager d’intégrer dans le droit commun des dispositions de l’état d’urgence pour en finir avec celui-ci. Mais en effet, une attaque terroriste comme celle que nous subissons depuis quelques années met en cause non pas le principe démocratique, mais l’étendue, la vigueur de la vie démocratique.
Deuxième chose : le recul possible de la démocratie à l’extérieur. Est-ce qu’on peut vivre la démocratie dans un seul pays, je n’en suis pas certain. C’est tellement vrai que la vie démocratique s’organise autour de Traités, qui unissent un certain nombre de pays dans un faisceau de relations qui permettent à ceux-ci de partager un système de droit et même quelquefois de se contrôler mutuellement par l’existence de juridictions supranationales. On a quand même des remises en questions multiples, de l’intérieur, de l’extérieur, dictées par des circonstances, des événements et des évolutions politiques qui sont très inquiétantes. Il y a des forces politiques dans de nombreux pays et le nôtre bien sûr, qui ne s’inspirent pas de valeurs démocratiques. Donc en effet, c’est une question qui se pose en 2017, dans des termes autrement plus dramatiques qu’ils ne se posaient en 2012, où cela pouvait sembler être une figure rhétorique habituelle, en période électorale. Là, c’est devenu très sérieux.
Peut-on craindre pour le dynamisme démocratique ?
Les citoyens sont des objets dans le cadre de politiques d’état d’urgence. Ils sont objectivement surveillés, fouillés, stockés dans des systèmes de vidéo surveillance. Donc, passifs et consentents. C’est nécessaire pour leur sécurité, mais néanmoins pas un progrès sur le plan des libertés, des droits à l’intimité, du secret des correspondances. Même si c’est nécessaire à la protection des personnes, cette nécessité est évidemment un recul des droits et libertés des personnes. Sur ce point l’arbitrage qui se fait, ne se fait pas en faveur du droit et des libertés. La sécurité doit l’emporter, il n’empêche on peut formuler de manière clinique ce constat, à savoir que là où la sécurité apparaît indispensable, les droits et libertés auxquels on a été habitué reculent, sont réduits et quelquefois mis en charpie. C’est un constat. Peut-être sommes nous en train de passer insensiblement à un autre type de société, à un autre mode de vie, où les menaces dicteront un nouvel ordre juridique.
En plus d’être un fin connaisseur du droit, notamment international, vous avez été membre de la Haute autorité du Parti socialiste. Il y a eu les primaires de 2011, puis celles de Marseille et plus récemment celle de la droite. Quel bilan tirez-vous de leur mise en place en France ?
C’est un progrès démocratique dicté par la qualité médiocre de la vie politique interne des partis. Par leur baisse de recrutement, par leur déficience organisationnelle et leurs compétitions internes mettant en danger leur existence même et leur réputation auprès des citoyens. Je ne sais pas aujourd’hui si les primaires correspondent à un progrès voulu ou contraint. Mais dans tous les cas, c’est un progrès pour les citoyens. Au moins leur demande-t-on leur avis pour sélectionner des candidats, ce que les partis se révèlent incapables à faire. Ceux qui disent : »les primaires c’est le risque d’un affrontement public », ceux-là oublient complètement ce qu’était la vie des partis avant même qu’on organisa les primaires. Les congrès des deux principaux partis, gauche et droite, se sont révélés un véritable capharnaüm, sous le regard ahuri des citoyens. Les partis n’ont plus d’autres solutions que de solliciter des électeurs pour se mettre à l’abri du regard impitoyable des électeurs eux-même. Les électeurs sont devenus des gardiens de la vie étique des partis. Donc les primaires sont un progrès démocratique et d’une certaine manière aussi, le cache-misère des partis.